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Les institutionnels restent friands d'actifs immobiliers "triple A"
Philippe Coulée (Echo, de ce matin)
L'offre d'actifs immobiliers "triple A", particulièrement prisés, est submergée par la demande des fonds institutionnels internationaux qui se livrent une rude concurrence.
Quand le Président de la Société royale d'économie politique de Belgique (SRPE), Etienne de Callataÿ, invite Christian de Kerangal, le Directeur général de l'Institut de l'épargne immobilière et financière de Paris (IEIF) chez Cofinimmo pour parler d'investissement face aux mutations de la société, on se dit que ça risque de faire mal à la tête... mais aussi qu'on pourrait apprendre quelque chose. Rendez-vous avait donc été pris le 21 octobre dernier sur le coup de midi. Le sujet n'étant pas de ceux à attirer les foules, la salle n'était pas comble, mais le public ciblé, de haut vol, promettait d'être exigeant.
Christian de Kerangal a commencé par rappeler deux préalables traversant les frontières. Le premier relatif à la demande: l'afflux exceptionnel de capitaux sur le marché immobilier depuis quelques années déjà. L'autre concernant l'offre à moyen terme: face à l'obsolescence de plus en plus rapide des actifs, surtout sur le segment des bureaux, les grands acteurs du secteur sont désormais condamnés à repenser leur business model en profondeur et de plus en plus rapidement.
Mais "fort heureusement, l'immobilier est aujourd'hui perçu par les investisseurs institutionnels du monde entier comme une classe forte offrant des rendements relativement intéressants en comparaison avec les obligations à long terme", expose l'invité.
Une fois le contexte brossé, le directeur général de l'IEIF a listé la part moyenne actuelle de cette classe d'actifs dans les portefeuilles institutionnels et donc la marge de progression escomptée sous nos latitudes. En Belgique, cette part atteint 7% en moyenne, pour 5% en France, 8% en Allemagne et aux Pays-Bas, 13% en Italie... et 20% au Royaume-Uni.
Royaume-Uni
Dans le cas du Royaume-Uni, l'expert n'hésite pas à évoquer une "surexposition préoccupante". D'autant que les produits immobiliers concernés présentent globalement deux talons d'Achille: "un risque à court terme et une défiance répétée de la part de certaines autorités macro-prudentielles qui pointent une surévaluation possible pour certains types de produits particulièrement recherchés", résume-t-il, tout en fixant à 12% la part de l'immobilier globalement visée par les gérants d'actifs.
"Depuis 2008, tous les grands collecteurs institutionnels d'épargne et de retraite font face à un afflux de capitaux qu'ils doivent rapidement réinvestir dans des actifs dont le rendement est à la fois stable et suffisant sur le moyen terme. Dans l'assurance-vie, par exemple, on en est arrivé en France à devoir arbitrer un afflux de capitaux qui est passé en dix ans de 50 à 100 milliards d'euros. Sur le marché immobilier le plus couru, à savoir celui des produits à haute qualité environnementale, bien localisés et avec de bons locataires (triple A), la concurrence internationale n'a jamais été aussi forte et l'offre ne suit pas cette croissance exponentielle. Donc, les rendements sont sous pression. À Paris, on a atteint un plancher inédit de 3%!", précise le professeur en Management de l'immobilier (Paris IX Dauphine), également spécialisé en expertise immobilière.
Pour illustrer son propos et le "stress" qui est actuellement perceptible sur le marché immobilier professionnel, il utilise l'image d'un dé à coudre (l'offre triple A d'actifs immobiliers) dans lequel on déverserait un seau d'eau (la demande des fonds institutionnels internationaux ouverts et fermés).
Réagir
Christian de Kerangal se veut pourtant plutôt rassurant. Selon lui, l'immobilier reste une classe d'actifs forte et concurrentielle. Les acteurs principaux se sont professionnalisés, offrant aujourd'hui davantage de transparence et de lisibilité dans les produits comme dans les transactions.
Mais il pointe aussi un bémol à l'attention des acteurs belges présents: le manque de liquidité de la brique. Couplé à un cadre légal très réglementé et fiscalisé, ce handicap affecte plus particulièrement certains immeubles de bureaux obsolètes qu'il est urgent de reconvertir. Une analyse qui ne manque pas de préoccuper directement l'hôte du jour, Cofinimmo, dont la diversification progressive et intensive du portefeuille, encore massivement composé de bureaux bruxellois il y a 15 ans à peine, doit se poursuivre moyennant un arbitrage affiné.
"Demain, vu la conjoncture économique actuelle et l'évolution du marché du travail, les propriétaires d'immeubles de bureaux qui veulent obtenir un rendement suffisant pour tous les actifs en portefeuille devront pouvoir rentabiliser leurs murs en y offrant une série de services ajoutés et rentables. A l'image de ce qui se fait dans d'autres segments de marché comme les maisons de repos ou les kots étudiants", prédit l'orateur.
rmances depuis le début de l'année tournent autour de -3 à -6% pour la plupart des fonds immobiliers. Les fonds globaux ont mieux résisté à la remontée des taux d'intérêt.
LE RÉSUMÉ
Depuis le début de cette année, la plupart des fonds immobiliers affichent une performance négative.
Les fonds exposés à l'immobilier à l'échelle mondiale ont subi des baisses nettement moins marquées et ont fait l'objet d'une volatilité beaucoup moins forte que ceux qui sont davantage centrés sur l'Europe.
Les fonds immobiliers ont affiché des performances très négatives depuis le début de l'année 2016, avec des évolutions tournant autour de -3 à -6% pour la plupart des fonds. Les produits qui se sont le plus démarqués à la baisse (avec des reculs supérieurs à 10%) sont typiquement des produits exposés à l'immobilier européen, qui avaient une exposition très importante aux grandes capitalisations liquides.
"Jusqu'à fin septembre, notre performance a bien résisté au climat ambiant, mais le mouvement de hausse des taux obligataires allemands a fortement pesé, et l'immobilier a réalisé la plus mauvaise performance sectorielle en Europe durant le mois d'octobre. Une valeur comme Unibail-Rodamco a ainsi abandonné 10% sur les dernières semaines", indique Damien Marichal (gestionnaire du fonds DPAM Invest Real Estate Europe).
Global
Les fonds exposés globalement à l'immobilier ont enregistré des baisses nettement moins marquées durant l'exercice 2016, et affichent des niveaux de volatilité également moins élevés que les produits dont le scope géographique est davantage centré sur l'Europe. Les immobilières européennes ne représentent en effet souvent qu'une portion extrêmement congrue des actifs sous gestion des fonds globaux (moins de 10%), de même que les valeurs britanniques. Ces produits sont inversement exposés à plus de 50% aux immobilières américaines.
"Au niveau global, le marché immobilier se négocie actuellement avec une légère décote par rapport à sa valeur d'inventaire, et par rapport à la moyenne historique à long terme, souligne James Wilkinson (co-global CIO Real Estate chez BlackRock). Nous restons confiants dans les fondamentaux du marché pour les prochains mois."
"L'Europe continentale nous semble être pleinement valorisée, tant en termes absolus que par rapport aux autres régions, souligne Dirk Philippa, gestionnaire du fonds Fidelity Funds - Global Property. J'ai récemment pris mes profits sur certaines valeurs américaines pour me repositionner sur les marchés asiatiques, à l'exception du Japon où j'ai vendu presque toutes mes positions en raison de la valorisation élevée de ce marché." Parmi ses valeurs préférées, nous trouvons par exemple Macerich (le plus grand opérateur de centres commerciaux aux Etats-Unis), Sun Hung Kai Properties (un des plus grands développeurs immobiliers en Chine et à Hong Kong) ou encore Great Portland Estates (actif dans l'immobilier commercial au Royaume-Uni).
Brexit
Une des clefs de la performance des fonds immobiliers en 2016 aura été la manière de négocier les remous politiques au Royaume-Uni. "Nous avons commencé à réduire notre exposition au marché britannique durant le deuxième semestre 2015, souligne Damien Marichal (DPAM). D'une part, les fondamentaux sont progressivement devenus moins favorables durant le second semestre 2015 avec des prix qui ont commencé à plafonner. D'autre part, nous nous sommes progressivement montrés plus prudents à mesure que le vote sur le Brexit s'est rapproché. En un an, nous sommes ainsi passés d'une surpondération de 5% vers une sous-pondération de 5% par rapport à notre indice de référence. L'immobilier britannique affiche aujourd'hui une forte décote, qui se justifie au vu des éléments négatifs qui affecteront le marché dans le futur. Je m'attends à ce que cette décote se corrige davantage par une baisse de la valeur des actifs en portefeuille que par une hausse des cours. À l'inverse, les valeurs d'inventaire devraient continuer à progresser en Europe continentale."
Chez Fidelity, Dirk Philippa se montre un peu plus optimiste et surpondère légèrement le marché. "La correction consécutive au Brexit a été particulièrement sévère, et les prochains 6 à 12 mois sont remplis d'incertitudes, mais le marché intègre actuellement un ajustement très important des prix avec des valorisations suffisamment attractives pour justifier une pondération légèrement supérieure à notre indice de référence."
Stratégie
Au niveau global, c'est le fonds de BlackRock qui présente le meilleur équilibre entre performance et volatilité, avec notamment la meilleure (ou la moins pire) performance depuis le début de l'année. "Nous visons à construire un vrai fonds global, en cherchant à sélectionner les sociétés immobilières dont les fondamentaux sont sains, avec une attention particulière portée à la valorisation des sociétés intégrées dans le portefeuille, souligne James Wilkinson (BlackRock). Nous avons tendance à être plus actif que nos concurrents, et nous avons tendance à détenir des positions assez importantes dans les sociétés que nous estimons mal valorisées."
Le fonds de Degroof Petercam Asset Management est celui qui combine le meilleur profil de performance et de volatilité au niveau des fonds dont l'empreinte géographique est limitée au continent européen. Et les apports ont été importants durant les dernières semaines. "Nous avons reçu 100 millions d'euros durant le mois d'octobre, ce qui nous a finalement permis de racheter les valeurs qui étaient auparavant toujours un peu trop chères pour être détenues et qui ont fortement corrigé, comme Klépierre ou Unibail-Rodamco", souligne Damien Marichal (DPAM).
"Nous avons traditionnellement un biais sur les moyennes capitalisations de croissance en dehors de notre indice de référence, mais les circonstances de ces dernières semaines nous ont forcés à adapter notre stratégie." Il s'attend toutefois à ce que les fortes convictions sur les valeurs de croissance reprennent du poids dans le portefeuille à mesure que les grandes capitalisations verront leur cours se reprendre. "Nous apprécions traditionnellement des valeurs qui disposent d'une équipe de gestion de qualité, avec un alignement des intérêts entre les actionnaires de contrôle et les minoritaires."
Les valeurs belges ne représentent qu'une portion congrue du portefeuille de Damien Marichal, essentiellement en raison de leur valorisation élevée. "Il y a beaucoup de sociétés de qualité en Belgique qui répondraient parfaitement à nos critères de sélection, comme par exemple Aedifica ou WDP, mais il est possible de trouver des sociétés avec des profils de croissance identiques dans des pays proches avec des valorisations 50% moins élevées. En France plus particulièrement, nous détenons des groupes comme Argan (logistique), Alterea Cogedim (centres commerciaux et promotion immobilière) ou Terreis (bureaux à Paris)."
ANALYSE
Immobilier et hausse des taux
Pour Etienne de Callataÿ (Orcadia Asset Management), la baisse des taux obligataires ces dernières années a profité aux valeurs immobilières, et le risque d'une remontée des taux représente aujourd'hui un risque pour les perspectives de cette classe d'actifs. "La possibilité de voir les taux obligataires remonter est une Arlésienne, qu'on craint et qu'on ne voit pas venir. La situation actuelle sur les marchés obligataires est une bulle qui finira par exploser, et je pense qu'il vaut mieux avoir raison trop tôt et de se positionner en conséquence."
Damien Marichal (DPAM) souligne pour sa part que si l'impact d'une hausse des taux obligataires sur les cours des valeurs immobilières est surtout sensible à court terme, l'impact à moyen ou long terme d'une hausse des taux est nettement moins important. "Quand les taux se calmeront, il y aura naturellement un potentiel de rebond. Nous ne nous attendons pas à une poursuite de la hausse sur les rendements obligataires."
Focus
Les fonds en actions belges à l'équilibre
Sur une période de 10 ans (qui intègre donc l'impact des crises de 2008 et de 2011), les performances des fonds de capitalisation investis en actions belges sont toutes repassées en territoire positif depuis quelques mois. Les différences de performance restent toutefois très importantes, avec un fonds qui se détache nettement du lot. C + F Belgian Growth (Capfi Delen Asset Management) affiche en effet une performance annuelle moyenne supérieure à 7%, soit 3% de mieux que ses plus proches concurrents. Ce fonds se spécialise avec une approche value très largement exposée à des valeurs hors indice Bel 20, avec même quelques grosses participations non cotées parmi les plus importantes lignes du portefeuille. Cette approche a permis à ce fonds d'afficher une volatilité historiquement nettement inférieure à celle de ses concurrents, et ce profil a également fonctionné à merveille en 2016, ce fonds étant un des seuls à surnager dans le contexte boursier difficile depuis le début de l'année. À noter également que les fonds davantage liés aux évolutions des valeurs Bel 20, comme ceux proposés par les grandes banques belges, sont en bas du classement sur 10 ans.