Sujet : DOCKWISE en mots et en chiffres
Dockwise : une compagnie de navigation hors norme. - Jerome Lieury (22 décembre) - Dockwise investit beaucoup, avec de l'argent qui lui coûte cher, mais c'est le prix à payer pour construire une position unique et imprenable sur un marché en croissance et très rentable, et, surtout, global. C'est quelque chose qui semble loin d'être compris à présent dans la valorisation boursière, avec une capitalisation de 360M$ (275M€), un petit montant à mettre en regard de la valeur des actifs d'exploitation au bilan, 955M$, à fin septembre. Et pas non plus dans des multiples de 4x P/CF 2011e et de 10x RN 2012e, faibles tant en valeur absolue qu'en historique. Jérome Lieury (Olier Conseil)
1 - Cotée à Oslo et à Amsterdam, et basée à Breda aux Pays-Bas, Dockwise Ltd (DOCK.OL/ DOCK NO 82,5 Nok, DOCKW.AS 10,9€) est une compagnie maritime aux activités originales : ses bateaux transportent des charges colossales sur les océans, non seulement des plates-formes pétrolières de tous types (jack-ups, semi-submersible, spars, FPSOs, etc...), mais aussi des modules d'usines chimiques, de grands équipements portuaires, et, pourquoi pas ? , d'autres bateaux. Rappelons que le métier originel de Dockwise était le transport de yachts, qui n'est plus qu'une activité très marginale à présent dans le périmètre du groupe.
Dockwise opère avec une flotte de 19 gros navires, la plupart d'entre eux dépassant les 200 mètres de long, et ce dans le monde entier : la plupart de ses chargements, de grosses plates-formes pétrolières, sont construits dans des chantiers navals coréens ou chinois, et doivent ensuite être mis en service dans des endroits très éloignés de leur lieu de naissance, tels la Mer du Nord, la Mer de Barents, l'Atlantique Sud et ailleurs.
La compagnie propose à ses clients, principalement les opérateurs de forage et les ingénieristes qui travaillent pour les compagnies pétrolières, plus que le transport maritime de charges hyper-lourdes : des opérations d'assemblage final ("deck-mating") de plates-formes, qui arrivent souvent en deux parties, le haut et le bas, sur leur théâtre d'opération, et des solutions logistiques pour l'installation et la mise en route des équipements, soit des services intégrant beaucoup d'ingénierie de conception et de projets. Elle a pour ce faire deux filiales spécialisées : OKI, qui fournit l'ingénierie, et des équipements, pour le deck-mating, et Ocean Dynamics.
Dockwise peut se prévaloir d'une référence emblématique dans ce domaine des mises en place industrielles : l'acheminement et la mise en services des 18 modules de l'usine de transformation du minerai de nickel de Koniambo en Nouvelle-Calédonie, qui a été le projet phare dans ce secteur ces dernières années.
En 2010, Dockwise a généré un chiffre d'affaires de 440 M $ avec 1 200 employés, et traité environ 80 très grandes opérations de transport/transfert/installation d'équipements lourds.
2 - Dockwise présente de nombreux "plus" pour un investisseur :
La compagnie n'est pas la seule dans ce métier, mais elle est de loin celle qui opère la flotte la plus puissante, et détient une forte part de marché, avec un quasi-monopole sur le transport des grosses plates-formes pétrolières, puisqu'elle est la seule à posséder les très gros bateaux adéquats.
C'est aussi celle qui propose la gamme la plus large de services : elle peut se positionner comme une "one stop shop" vis à vis de ses grands clients majors pétrolières ou opérateurs des services pétroliers.
Le carnet de commandes est à son plus haut historique à plus de 500M$ : l'amont pétrolier est en plein boom, quoiqu'il puisse se passer dans les économies occidentales en plein marasme.
La rentabilité de ce métier peut être très élevée, la marge opérationnelle était de 15% en 2010, après avoir atteint un pic de 28% en 2008.
* Par ailleurs, le marché de Dockwise semble bénéficier de fondamentaux très favorables :
Puisque la demande de pétrole est toujours orientée à la hausse, et que cette matière première est de plus en plus difficile à trouver et à extraire, notamment en la cherchant de plus en plus profond sous les mers, il faut des équipements de plus en plus gros pour ce faire, et le marché du transport maritime de charges super-lourdes a pour cette raisons en principe encore de beaux jours devant lui.
Il y a déjà une flotte globale de 700 plates-formes pétrolières en service, dont 20% sont déplacées d'un gisement vers un autre chaque année en moyenne, ce qui génère d'ores et déjà une solide demande pour les services de Dockwise.
En plus de cela, les grands groupes continuent indéfectiblement à externaliser toutes sortes d'activités, et à s'appuyer, au nom de la rationalité économique, ou plutôt de la logique comptable, ce qui n'est pas forcément la même chose, sur des prestataires extérieurs plus experts qu'eux pour les fonctions annexes.
Le transport maritime tel qu'il est pratiqué par Dockwise avec ses navires semi-submersibles se compare très favorablement en principe au remorquage de haute mer, son concurrent traditionnel : i) avec des vitesses de 12-13 noeuds en moyenne contre 5 pour le remorquage, les traversées sont plus rapides, soit moins de temps morts pour les plates-formes entre deux campagnes de forage, ii) avec une meilleure tenue dans le gros temps, et pas de risque de casser une aussière, les couvertures d'assurance sont moins chères et plus faciles à trouver.
Les clients paient une partie de la prestation par avance : Dockwise travaille en BFR négatif, et bénéficie d'un matelas de cash permanent, qui permet de veiller au grain, puisqu'il s'agit d'un métier risqué.
3 - Pour le moment, cependant, ces facteurs favorables ne se retrouvent pas dans le cours de Bourse, qui est en recul de -47% depuis le début de l'année :
Le monde a changé, c'est sûr, et pas en bien, depuis janvier 2011 : la récession peut revenir à l'Ouest, et les acteurs cycliques comme Dockwise en souffrir. Notamment sur le 1/3 du chiffre d'affaires qui n'est pas lié au pétrole : Port&Marine Infrastructure (15% CA), militaire et transports de yachts (10%CA chacun). Et éventuellement aussi dans l'off-shore, puisque le taux d'utilisation des bateaux est plutôt faible en ce moment à 70%. Avec, toutefois, des prix stabilisés à un niveau satisfaisant.
Les investisseurs se sentent surtout peu à l'aise avec la dette, importante en valeur absolue, que porte la compagnie, même si le ratio d'endettement est tout sauf inquiétant à 46% fin 2010 (et 49% fin septembre). De fait :
1. le ralentissement de l'activité (-1,6% sur les 9 premiers mois de l'année) a un fort effet négatif sur la marge nette, puisque la couverture du solde financier par le résultat d'exploitation, qui était de 1,5x en 2009 et de 1,3x en 2010, n'offre pas de marge de sécurité. Ce qui signifie que Dockwise ne va pas générer cette année beaucoup de résultat pour ses actionnaires. De fait, Dockwise paie un prix élevé, presque 10% d'intérêts nets, pour sa dette, et, pour le moment en tous cas, travaille plus pour ses banquiers que pour ses actionnaires.
2. En plus de cela, avec trois gros paiements à effectuer courant 2012 pour le nouveau plus gros bateau qui va bientôt entrer en service, les conventions bancaires sont sous pression. Et même si ces "covenants" sont plus l'affaire des banquiers que celle des investisseurs, ils sont considérés avec attention par le marché.
Ceci met en avant le plus gros "moins" de ce dossier d'investissement : la capacité d'autofinancement est loin d'avoir suffi pour la croissance de ces dernières années.
Et le recours à l'endettement n'a pas suffi non plus, puisque des augmentations de capital ont été réalisées, la dernière, 100M$ en novembre 2010, ayant servi à financer ce nouveau plus gros bateau à venir (le Type O Super Vessel, baptisé Dockwise Vanguard depuis).
Il y a aussi quelques autres "moins" qui méritent qu'on s'y attarde :
* Le cycle d'investissement peut devenir chaotique, avec des bateaux toujours plus gros et plus chers, et des taux d'utilisation toujours plus volatiles.
* Ce métier est non seulement éminemment cyclique, mais nettement plus risqué que la moyenne qui plus est, avec de grosses commandes et un risque technique élevé, même si les assureurs semblent très enclins à le couvrir.
* Dockwise opère sur un marché de niche très particulier, peu aisé à comprendre pour un investisseur : le cours de Bourse sera toujours plus sensible que la moyenne aux nouvelles, même si la direction passe beaucoup de temps à expliquer son business au marché.
4 - Mais, à la fin, c'est là aussi qu'est la création de valeur : Dockwise investit beaucoup, avec de l'argent qui lui coûte cher, mais c'est le prix à payer pour construire une position unique et imprenable sur un marché en croissance et très rentable, et, surtout, global.
C'est quelque chose qui semble loin d'être compris dans la valorisation boursière, avec une capitalisation de 360M$ (275M€), un petit montant à mettre en regard de la valeur des actifs d'exploitation au bilan, 955M$, à fin septembre. Et pas non plus dans des multiples de 4x P/CF 2011e et de 10x RN 2012e, faibles tant en valeur absolue qu'en historique.
D'autant plus que dans une optique à très court-terme, les choses ne vont pas si mal que çà, comme en témoigne le sursis sur ses covenants que Dockwise vient d'obtenir de ses banques après avoir annoncé la vente prochaine de son activité de transport de yachts difficile à rentabiliser.
Et n'oublions pas que 2011 aura été une année spéciale pour les cycliques, avec un environnement très compliqué, et que, éventuellement, 2012 offrira une meilleure visibilité, plus que ce que nous avons tendance à croire maintenant.
C'est ce qu'on peut éventuellement penser en prenant le temps de regarder les graphiques : les cours de presque toutes les affaires cycliques "bottoment" depuis l'été, et semblent vouloir rebondir un jour.
Qui sait, après tout ?
Dernière modification par Francis (28-01-2012 14:57:52)