Sujet : Chine
La nouvelle route de la soie, le nouvel eldorado ?
Norbert Gaillard, Economiste Et Consultant Indépendant (l'Echo, de ce 28/09/2016)
Il y a exactement trois ans, le président chinois Xi Jinping lançait la "nouvelle route de la Soie" (également appelée "Initiative de la Ceinture et de la Route"). Il s'agit d'une série d'ambitieux projets visant à construire, entre autres, des voies de chemins de fer, des autoroutes, des pipelines, des barrages, des ports, des ponts et des centrales électriques.
Les pays bénéficiaires seraient nombreux: la Chine, la Mongolie, la Russie, le Caucase, les États d'Asie du Sud et du Moyen-Orient et l'Europe de l'Est. Le montant global des investissements pourrait atteindre les 4 000 milliards de dollars! Ce plan a connu une véritable accélération cet été avec l'officialisation de plusieurs projets au Bangladesh, au Kazakhstan, au Pakistan et au Tadjikistan.
Cette "nouvelle route de la Soie" offre au moins cinq avantages pour la Chine et ses partenaires. Elle permettrait de réduire les coûts de transport. Pékin importe traditionnellement pétrole et matières premières par voie maritime, via la Mer de Chine. Si ces marchandises étaient acheminées par voie terrestre à partir du port pakistanais de Gwadar, la distance parcourue serait réduite de plus de 80%.
Les retombées économiques sont difficiles à chiffrer mais les pays de la région qui ont les PIB par habitant les plus faibles (Inde, Kirghizstan, Ouzbékistan, Pakistan et Tadjikistan) peuvent y trouver un bon relais de croissance.
Consolider le yuan
Pour la Chine, ces multiples projets sont autant de débouchés pour ses entreprises et sont susceptibles de consolider le statut de devise internationale du yuan. Ils constituent également une démonstration de force économique et diplomatique de la part de la Chine. Par exemple, la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures (BAII), créée en 2015 pour financer une partie de cette "nouvelle route de la Soie", regroupe 57 Etats-membres représentant 55% du PIB mondial et 68% de la population mondiale.
Ces grands travaux présentent cependant plusieurs risques. Le premier d'entre eux est le risque politique. Bien qu'ils ne soient ni directement impliqués dans l'initiative chinoise, ni membres de la BAII, l'Afghanistan, l'Irak et la Syrie compliquent certains projets en raison des guerres qui règnent sur leur sol.
Par ailleurs, les tensions récurrentes dans le Cachemire et les menaces terroristes au Moyen-Orient et dans le Caucase ont de quoi inquiéter les investisseurs. Le poids de la bureaucratie est un autre défi. Selon le rapport Doing Business 2016 de la Banque mondiale, obtenir un permis de construire est un parcours du combattant en Chine, en Inde, au Kazakhstan et en Russie.
Une troisième difficulté tient à l'hétérogénéité économique des territoires traversés par la "nouvelle route de la Soie". La Chine, notée AA - par les grandes agences de notation, est jugée aussi compétitive que la Corée du Sud par le World Economic Forum.
L'Azerbaïdjan, l'Inde, le Kazakhstan, la Russie et la Turquie sont dans une situation intermédiaire. En revanche, la Mongolie et le Pakistan sont considérés comme fragiles et peu solvables. À l'évidence, le risque souverain et le risque pays mériteront une attention particulière. Dernier écueil: les banques devront se tenir à l'écart des pressions politiques destinées à financer des éléphants blancs.
Pax Sinensis
La pleine réussite de ces grands projets semble en fait suspendue à un certain nombre d'engagements. Tout d'abord, Pékin a un rôle crucial à jouer pour réduire les incertitudes politiques. Si l'Europe a pu s'industrialiser et croître tout au long du XIXe siècle, c'est grâce à la Pax Britannica qui a perduré jusqu'en 1914.
La "nouvelle route de la soie" requiert donc une Pax Sinensis pour les décennies à venir. Ensuite, les pays d'Asie du Sud et d'Asie centrale doivent progressivement simplifier leurs démarches administratives et harmoniser leurs réglementations douanières. Enfin, les divers projets qui auront été sélectionnés devront être suivis de près au fil de leur réalisation et également après leur achèvement.
Des analystes de crédit contrôleront la bonne marche comptable et financière des entreprises tandis que des ingénieurs s'assureront que la maintenance et l'entretien des infrastructures sont satisfaisants. Les exemples de voies de communication ou de bâtiments en situation de sous-investissement chronique ou laissés à l'abandon sont en effet légion dans les économies émergentes.
À l'heure où les tentations protectionnistes sont de plus en plus fortes des deux côtés de l'Atlantique, la "nouvelle route de la Soie" constitue une formidable opportunité pour stimuler les échanges internationaux et la croissance économique mondiale. On ne peut que souhaiter son succès.