Re : Economie Politique - Reflexions et discussions
Et coup sur coup, aujourd'hui, deux articles extrêmement intéressants sur l'Inflation, l'emploi et les banques centrales... Le premier de Suisse, l'autre dans l'Echo...
1)
....Et quand il dit "que tout s'est bien passé lors des 3 précédentes révolutions disruptives", je lui rappellerai quand même que plusieurs crises graves et guerres mondiales sont passées par là !!......
Ces problématiques que nous préférons ignorer
26.10.2017 Fabio Lopes
Il y a des hypothèses que les économistes laissent volontiers hors de leur raisonnement et le sujet mérite effectivement réflexion.
Dans le contexte macroéconomique actuel, les banques centrales ont bien du mal à créer de l’inflation. Rappelons tout de même qu’un taux d’inflation raisonnable est considéré comme positif pour la dynamique économique. Et l’inflation est liée au marché de l’emploi. En effet, peu de chômeurs signifie qu’il faut augmenter les salaires soit pour les convaincre de prendre un emploi, soit pour débaucher des salariés en emploi. Hausse des salaires qui se répercute dans le prix de vente du produit ou de la prestation réalisée par ledit salarié, et la machine à créer de l’inflation est lancée.
Par contre avec un nombre trop élevé de chômeurs, il n’est plus possible d’observer cette logique. Et pourquoi y aurait-il plus de chômeurs, surtout si l’on annonce que l’économie est repartie et que la croissance est revenue ? Mais à cause des machines, pardi ! Cette grande tendance à l’automatisation qui permet d’augmenter la productivité tout en réduisant le nombre d’employés.
Raisonnement faux, crieront immédiatement les chantres du progrès. A leurs yeux, l’automatisation croissante libérera les employés des tâches répétitives et fastidieuses afin qu’ils puissent se concentrer sur des tâches à plus haute valeur ajoutée. Un travail gratifiant pour tous grâce aux machines. Peut-être… mais il est permis de douter que la majorité des employeurs soient dotés d’un tel niveau d’altruisme. La plupart se frotteront plutôt les mains en voyant grossir leurs bénéfices grâce au coup de booster apporté à la productivité d’un nombre désormais plus petit d’employés nécessaires pour effectuer le même travail. Donc le nombre de chômeurs augmente.
Et j’oublie le plus important, diront encore mes détracteurs, puisqu’il est bien connu que ces nouvelles technologies créeront des emplois à foison pour les ingénieurs, informaticiens et autres techniciens, sans parler de tous ces nouveaux métiers qui restent à inventer. Certes, le point est tout à fait valide mais ne répond pas au problème. Je ne suis pas totalement convaincu que le livreur remplacé dorénavant par un drone se recycle en un claquement de doigt en data scientist.
Nous risquons donc d’assister à un découplage au sein du marché du travail, avec d’un côté une pénurie de cerveaux indispensables à la nouvelle économie, et de l’autre des chômeurs impossibles à recycler. Inflation salariale pour les uns, prestations sociales pour les autres. Bref, un scénario à la Germinator (oui, j’ai osé la contraction de Germinal et Terminator). Science fiction ? Peut-être bien, mais comme toujours, les scénarios extrêmes sont les plus intéressants.
Mais revenons les pieds sur terre. Nous avons nos chômeurs pour lesquels tout espoir de réinsertion dans la nouvelle économie diminue de jour en jour. Or il faudra bien survenir à leurs besoins afin d’éviter une révolution, ou du moins une forte avancée des partis populistes. Et pour financer ces prestations sociales, il faudra aussi que l’Etat trouve l’argent quelque part. La fiscalité devra donc augmenter puisque c’est ainsi que se remplissent les caisses du Trésor. L’Etat a d’ailleurs 2 choix, taxer le travail ou taxer le capital. Reste qu’il faudra redéfinir ces 2 concepts dans la nouvelle économie et le débat fait déjà rage entre partisans et opposants à la taxation des «robots».
Bien entendu, tout cet article n’est que du pur délire car l’humanité a déjà connu 3 révolutions disruptives avant celle-ci et tout cela s’est bien terminé. Certes, mais il est un point que l’on oublie souvent : ces révolutions technologiques ont eu lieu dans des économies encore majoritairement portées par les secteurs primaire et secondaire. Ces (r)évolutions technologiques ont déplacé les paysans vers l’usine, ensuite les ouvriers vers les bureaux. Parce que la technologie y a créé de nouveaux emplois. Et l’école a formé aux nouveaux métiers en apprenant à lire et à compter.
Aujourd’hui, dans les économies développées, les emplois sont déjà dans le tertiaire et les évolutions technologiques vont impacter pleinement ce même secteur. Les nouveaux métiers qui en découleront nécessiteront beaucoup plus que savoir lire et compter. Le discours disant qu’il faut apprendre à coder dès le plus jeune âge devrait donc être pris très au sérieux. Mais ceci ne résout pas le problème des personnes plus âgées ayant perdu leur emploi.
Si l’on prend en compte la démographie, l’avenir est encore moins clair, avec une population active qui diminue mais doit supporter une charge fiscale croissante servant à financer l’autre partie de la population composée de retraités et de chômeurs.
Cerise sur le gâteau, dans ce monde sans inflation, les rendements obligataires restent bas. Trop bas pour que les caisses de pension soient en mesure de faire face aux besoins de leurs bénéficiaires.
Les pires scénarios ne doivent pas forcément se réaliser, mais ce n’est pas une raison pour les exclure de toute analyse. Il a toujours été plus facile d’aborder les situations difficiles en étant bien préparé.
2)
Faut-il s'étonner de la faiblesse de l'inflation?
Norbert Gaillard, économiste Et Consultant Indépendant (Echo)
À quelques jours d'intervalle, la Federal Reserve (Fed) et le FMI se sont inquiétés de la faiblesse de l'inflation, respectivement aux Etats-Unis et dans les économies industrialisées. Comment interpréter un tel signal d'alarme?
Commençons par examiner les Minutes de la Fed. Les banquiers centraux américains soulignent que l'indice des prix à la consommation reste désespérément sous les 2% (cible traditionnelle). Plusieurs explications sont avancées: le rétrécissement du marché du travail (ce qui confirme, comme je l'indiquais dans une tribune précédente, que les 4,5% de chômage ne reflètent pas une situation de plein-emploi), les innovations technologiques et la relative stagnation des salaires.
En conséquence, la Federal Reserve entend poursuivre sa politique de lente remontée des taux initiée en décembre 2015. Elle n'a pas bougé en septembre 2017 mais pourrait augmenter les Fed funds en décembre. Un large consensus s'est dégagé lors de la réunion puisque les neuf membres votants ont tous approuvé le statu quo. Ce qui est troublant, cependant, ce sont les opinions des seize membres (votants et non-votants) du Comité de politique monétaire concernant les niveaux appropriés des Fed funds à horizon 2018-2020.
Ces derniers s'échelonnent de 1% à 2,5% en 2018, 3,5% en 2019 et 4% en 2020, soit 300 points de base d'écart à échéance trois ans. Voilà qui laisse dubitatif. Du coup, il est tentant d'analyser les niveaux appropriés des Fed funds anticipés il y a deux ans pour 2017. Les estimations allaient de 1,75% à 3,5%, c'est-à-dire que même le banquier central le plus accommodant à l'époque avait anticipé un taux supérieur à ce qu'il est effectivement aujourd'hui.
Peine perdue
Les divergences entre membres du Comité de la politique monétaire s'estompent dans le temps et convergent systématiquement vers le niveau de taux le plus bas. Il est clair que la Federal Reserve voudrait provoquer un retour de l'inflation pour accélérer la remontée des taux mais c'est peine perdue. Pour en comprendre la raison, il est utile de se pencher sur le World Economic Outlook que vient de publier le FMI.
Dans le chapitre 2 de son rapport, l'institution de Washington déplore également la faible inflation dans les pays développés et la relie à la stagnation des salaires, qui serait due aux efforts des entreprises pour améliorer leur compétitivité, à la faiblesse de la demande, à la peur de nombreux salariés de perdre leur emploi et à l'importance de l'emploi à temps partiel.
Par ailleurs, le FMI considère que l'inflation ne dépassera significativement le seuil des 2% que si les salaires croissent plus vite que la productivité. Le coeur du problème semble identifié: la raréfaction du travail et la "modération" salariale entravent toute véritable reprise en Europe et en Amérique du Nord ainsi que tout retour de l'inflation.
Est-ce si surprenant?
En fait, nous vivons dans une ère de mondialisation et de globalisation financière qui exacerbe la concurrence entre acteurs économiques et comprime les prix et les salaires. Au cours de la première période de globalisation, entre 1880 et 1913, l'inflation annuelle moyenne était inférieure à 1% en France, en Allemagne, en Belgique, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis. Depuis 1986, elle s'établit à 2%.
En revanche, durant les années 1950-1985, caractérisées par la fragmentation des systèmes financiers et une certaine dose de protectionnisme, l'inflation annuelle avoisinait les 6% dans ces cinq États industrialisés. Le libre-échange et l'innovation ont de puissants effets déflationnistes que nos dirigeants semblent sous-estimer. Favoriser le protectionnisme et entraver la R&D (recherche et développement) apporteraient plus de problèmes que de solutions. Que penser et que faire alors?
D'abord, les inquiétudes liées à la faiblesse de l'inflation masquent une véritable angoisse parmi les économistes: les politiques monétaires ultra-accommodantes conduites depuis près de dix ans auront été des outils inadaptés pour restaurer la croissance.
Tétanie des banquiers centraux
Force est de constater qu'elles ont engendré de l'inflation, mais sur les marchés financiers, pas dans "l'économie réelle". Or, les banques centrales ne sont pas censées prendre en compte l'évolution des prix des actifs financiers et encore moins anticiper la constitution de bulles spéculatives. Cette approche, théorisée dans les années 1990 par Ben Bernanke, prédécesseur de Janet Yellen à la tête de la Fed, est très contestable et explique la tétanie actuelle des banquiers centraux.
Ensuite, les politiques monétaires ultra-accommodantes ont alimenté l'endettement de l'ensemble des acteurs économiques, contribuant donc à gonfler artificiellement la croissance du PIB et même l'inflation. Il est fascinant de noter que le terme "leverage" n'est mentionné qu'une seule fois dans les 29 pages des Minutes de la Fed.
Enfin, dans le contexte actuel de mondialisation et de quatrième révolution industrielle, il est vain d'attendre une augmentation des salaires. Toutefois, les marges de manoeuvre existent: elles sont du côté des dépenses des ménages et non du côté de leurs revenus. Seule une restructuration des dettes privées peut permettre des gains de pouvoir d'achat et, in fine, une stimulation de l'activité économique.